Sait-on vraiment mesurer le carbone dans les bâtiments ?
Le secteur immobilier, premier émetteur de CO2 avec 39 % des émissions en Europe[1], est un acteur clé pour réduire son impact environnemental et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, telle que définie dans les Accords de Paris.
La réduction de l’empreinte carbone, engagée par la plupart des entreprises du secteur, repose sur la capacité à mesurer précisément le carbone dans la construction de bâtiments.
Marc Esposito, Directeur de l’Innovation chez GSE, apporte son éclairage sur les méthodes de calcul, dans un paysage marqué par la multiplicité des standards et l’hétérogénéité des données.

Une diversité de référentiels et de méthodes
Réduire l’empreinte carbone d’un bâtiment, dans sa conception et dans sa construction, implique l’emploi d’une méthode scientifique et éprouvée pour le mesurer. L’analyse du cycle de vie (ACV) est aujourd’hui une méthode répandue, encadrée par des normes ISO et européennes. Cependant, chaque pays, et même chaque organisation, peut choisir un niveau d’engagement plus ou moins important au sein de l’analyse. Par exemple, la France utilise le cadre de la RE 2020, présentant une approche assez complète de l’ACV, tandis que l’Allemagne applique un cadre plus restreint. De même, la durée de vie des bâtiments prise en compte dans l’analyse varie selon les pays, et certaines réglementations exigent une actualisation des données dans le temps – le carbone rejeté aujourd’hui a plus d’impact que celui rejeté demain.
« Il y a autant de façons différentes de mesurer le carbone que de réglementations locales et de certifications », explique Marc Esposito « il faut par ailleurs combiner plusieurs facteurs pour obtenir une ACV ».
Dans l’analyse du cycle de vie d’un bâtiment, deux autres facteurs ont un impact crucial sur le résultat : la complétude des matériaux évalués et la qualité de la base de données carbone. Aujourd’hui, les bases de données répertoriant les fiches produits de chaque matériau sont d’une part différentes selon les pays et d’autre part incomplètes : elles doivent être renseignées par l’ensemble des fournisseurs et accréditées par des bureaux d’études spécialisés, ce qui prend du temps dans un marché n’ayant pas encore atteint le stade de la maturité.
Le défi de l’harmonisation
Ainsi, si l’on parvient aujourd’hui à mesurer le bilan carbone d’un bâtiment, l’enjeu porte sur l’harmonisation du calcul entre les pays et son applicabilité. Le « Low Carbon Building Initiative » (LCBI), lancé par l’Association pour le Développement du Bâtiment Bas Carbone (BBCA) et regroupant de nombreux acteurs de la construction dont GSE, vise à créer un label bas carbone européen. Il se focalise aujourd’hui sur les bâtiments logistiques et aspire à standardiser les mesures de carbone à travers l’Europe. « L’harmonisation est cruciale pour créer une comparaison honnête et significative entre les projets » souligne Marc Esposito.
En attendant la mise en place d’une méthode de calcul universelle, GSE a développé sa méthode maison, le « Quick Carbon », pour garantir une évaluation rapide, complète et unifiée des émissions carbone de ses projets. Ce système, d’abord conçu pour les réalisations en France, vise à être généralisé aux autres pays. « Notre objectif, c’est d’avoir une seule méthode pour tous les bâtiments que l’on construit, afin de suivre notre trajectoire carbone, et les actions qui en découlent, d’ici 2030 et 2050 », précise Marc Esposito. « Pour rappel, la neutralité carbone, au sens du SBTi (Science Based Targets initiative), nous engage à réduire nos émissions carbone de -90% à l’horizon 2050 »
En conclusion, si on sait mesurer le carbone dans les bâtiments, la donnée varie selon le référentiel adopté et la réglementation locale. Les valeurs ne peuvent pas être comparées entre elles, ce qui complexifie la visibilité et la transparence. L’enjeu, c’est de pouvoir uniformiser la méthode de calcul et enrichir les bases de données, afin de suivre au plus près les actions menées pour réduire l’empreinte carbone des bâtiments, à travers la décarbonation des matériaux et de l’énergie. Comme le résume Marc Esposito, « l’objectif est véritablement de réduire l’empreinte carbone de notre secteur. Il serait dommage de ne pas pouvoir discerner les actions efficaces du greenwashing à cause d’une mesure trop imprécise ».
[1] https://www.batimentbascarbone.org/low-carbon-building-initiative-lcbi-label-bas-carbone-europeen/